Hamza Albakri

French below

Hamza Albakri studied French language and literature as a bachelor. I worked in the field of alternative education before starting a masters in development studies. Published different short stories after participating in the Ramallah short stories workshop” in 2019. During this quarantine time, life seemed to be very questionable. Meanwhile, through the act of writing, I started discovering some answers.

A student in Paris, Hamza Albakri is from Hebron. In the form of weekly short stories mixing fiction and reality, he shares his doubts, his concerns, and broader questions. This confinement is, for him, an opportunity to reflect on the issues and challenges preexisting in Palestine, the constant uncertainty that punctuates daily life, the confinement of an expatriate student but also new forms of hope and solidarity.


Hamza Albakri a étudié la langue et la littérature françaises lors de son baccalauréat. Il a travaillé dans le domaine de l’éducation alternative avant de commencer une maîtrise en études du développement. Il a publié différentes nouvelles après avoir participé à «l’atelier de nouvelles de Ramallah» en 2019. Pendant cette période de quarantaine, la vie semblait très questionnable. Durant ce temps, par l’écriture, il a commencé à découvrir des réponses.

Etudiant à Paris, Hamza Albakri est originaire d’Hébron. Sous forme d’histoires hebdomadaires mêlant fiction et réalité, il partage ses doutes, ses préoccupations, et ses questions plus larges. Cet enfermement est, pour lui, l’occasion de réfléchir sur les enjeux et défis préexistants en Palestine, l’incertitude constante qui ponctue le quotidien, l’enfermement d’un étudiant expatrié mais aussi de nouvelles formes d’espoir, et de solidarité.

Semaine 1

Le noyer et la limite de l’illusion

Je me tenais devant la grande horloge murale suspendue au-dessus de la porte de la maison. Je l’avais enlevée du salon et je l’ai accroché au-dessus de la porte après qu’elle a perdu sa valeur sauf au moment où je sors. Encore quatre minutes avant 7 heures. J’ai mis ma chaussure de sport usée doucement, réfléchissant à son trou, qui n’a cessé de s’élargir, sans qu’aucune limite ne puisse l’arrêter. Je me suis levé et ai tourné ma tête vers elle, deux minutes avant 7 heures. J’ai desserré l’élastique de mes cheveux et je l’ai refait, j’ai allumé la lampe de la salle de bain, je l’ai éteinte, puis j’ai sauté plusieurs fois en l’air. 7 heures sonne,  j’ai ouvert la porte de la maison et ai couru.

Ma seule pensée était de fuir les murs, les plafonds et les portes. J’ai couru jusqu’à atteindre le millième mètre et je me suis arrêté. Je n’ai pas le droit d’aller plus loin. Je me suis tourné vers l’est et à mille mètres, je me suis arrêté. Puis je me suis retourné et j’ai couru vers le sud et au millième mètre, je me suis arrêté. J’ai été étonné que, à mon insu, je n’ai pas fait un seul pas après la limite admissible, comme si l’air était devenu un haut mur solide. J’ai regardé autour de moi, j’étais seul devant mon mur imaginaire. Chaque fois que quelqu’un s’approchait de moi jusqu’à ce que je le vois, il s’en allait. J’ai senti que j’étais à nouveau confiné, j’étais terrifié et je suis rentré, me rappelant le jour où ils ont annoncé que le confinement avait commencé.

Je marchais dans la rue vide et chantais une mélodie cacophonique, regardant par les fenêtres, où j’ai vu tout le monde accolés aux écrans de télévision avec une seule voix qui parle. À la fin du discours, la place autour de moi s’est remplie, tant de gens apeurés et en fuite. Cette ville deviendra notre vision et sa finalité, l’horizon s’arrêtera à sa limite et alors tout ce qui est plus loin apparaîtra comme un mirage. Divers messages me sont parvenus, m’avertissant du départ de ceux que je connais, souhaitant nous rencontrer prochainement. En fait, je n’avais pas l’intention de partir, mais un sentiment d’aliénation m’a rempli le corps ce jour-là. Comme si l’éloignement en est devenu double, et avec chaque message de départ, le nombre augmentait.

Après avoir couru, je suis rentré chez moi à bout de souffle, j’ai fermé la porte et je l’ai verrouillée comme si c’était mon refuge et ma sécurité. J’ai senti qu’une autorité quelconque contrôlait mes pensées, ma réalité. J’ai rempli un verre d’eau, puis un deuxième et un troisième jusqu’à ce que je sois satisfait. Je me suis assis sur mon canapé et je me suis souvenu d’une histoire de ma grand-mère dans laquelle elle avait dit: « Dieu maudit les frontières, celui qui les a inventées et celui qui les a dessinées, à cause de cela, nous avons perdu le noyer que ton grand-père a planté pour notre voisin, depuis, je le voyais comme un arbre étrange et triste. Chaque jour, l’arbre s’inclinait vers nous, mais le mur était plus fort. Puis elle a terminé, après un moment de silence, « Penses-tu mon cher petit, que si les frontières tombent, il y aura encore des réfugiés? » Puis j’ai continué à répéter sa phrase dans ma tête, Dieu maudit les frontières, son inventeur et son dessinateur. Il me semblait que toutes les frontières de mon monde étaient artificielles, mais je ne connaissais pas de monde sans elles. Au contraire, les frontières existent entre ma maison et mon école, entre ma ville et mon université, entre les rives du fleuve et au milieu de la mer.

Mais parmi tout ce chagrin, j’ai senti que je n’étais pas seul, et qu’un jeune homme comme moi pouvait aussi être assis sur son canapé et réfléchir à ce que je pensais. Et si mon esprit se libère de ce qu’il a dessiné à l’intérieur et à l’extérieur, le résident en Inde, le fermier en Chine, le peintre au Liban, le musicien en Égypte, le fugitif dans un bateau de Syrie, le réfugié en Grèce ou en Jordanie, la révolutionnaire en Irak, le pauvre au Venezuela et le danseur en Espagne, seront plus proches. Et quand j’ai réalisé que les frontières entre les cultures, les peuples et les gens n’avaient aucun sens, j’ai décidé de sortir ma tête de la petite fenêtre et de crier, crier et crier, ma voix ne sera arrêtée par personne. Chaque fois que j’appelais quelqu’un, j’étais ravi de la réponse, sauf quand j’ai appelé ma famille pour savoir s’elle avait assez des provisions, ce n’est qu’un silence affamé qui m’a répondu.

Semaine 2

Le vignoble béni

Je suis réveillé par les cris de ma mère qui tapait à la porte et disait d’une voix ferme qu’il est six heures passées, et que les raisins sur les vignes attendent d’être cueillies et pressées. Nous avons, moi et mes frères, mis nos vêtements les plus anciens. Munis de ciseaux et de couteaux, nous sommes allés vers le vignoble. Après trois heures de travail, cueilli et transporté derrière la maison, l’odeur du pain au thym a annoncé l’heure du petit déjeuner, mon oncle est arrivé à l’heure avec du fromage blanc et des pierres de « Hiwar » (pierre blanche utilisée pour nettoyer le raisin).

Alors que je n’ai pas encore fini mon pain au thym, mon père s’est levé comme d’habitude – comme un vaisseau spatial : il bouge tout le temps – et commença à mettre le raisin dans des sacs.

J’ai retroussé mes bas de pantalon, ai lavés mes pieds, suis monté sur le premier sac et ai commencé à le presser. De temps en temps, mon oncle ajoutait des pierres de Hiwar. Ma mère lui jetait des coups d’œil, ne cachant pas ce qu’elle avait sur le bout de sa langue et lui demande d’arrêter. Il n’y a pas une année qui passe sans qu’il n’en mette trop. Dès que nous avons terminé de presser, et que toutes les marmites se soient remplies, nous avons allumé un feu en-dessous pendant deux ou trois heures.

Les bras derrière le dos, avec sa petite taille, ma grand-mère passe entre les marmites, puis s’adresse à tout le monde, « Où est la marmite du Malban (sorte de nougat)! », Alors mon père rit, soulignant qu’il n’oublie pas son amour pour elle ainsi que sa marmite qui est sur un autre feu en attendant qu’elle y ajoute la semoule. Mes frères et moi sommes allés chercher du bois pour allumer le feu. En chemin, nous sommes passés près de la cuisine, où nous avons entendu ma sœur maudire la maqlouba (plat palestinien avec du riz), le raisiné, les hommes et la société. Après avoir rapidement et silencieusement mangé à cause de notre grande faim, nous nous sommes assis pour le café, ma mère a commencé à conter les avantages de la vigne, son arbre béni. Elle a farci ses feuilles roulées, elle les en a confites de raisins verts, elle a mangé ses récoltes, et a séché les raisins secs, et maintenant elle cuit son malban et son raisiné pour l’hiver.

Lorsque nous avons allumé le feu et que ma grand-mère a prié pour que Dieu nous éloigne de l’enfer, nous avons mis une grande marmite (que nous appelons le Dist) pleine de tous les raisins et le jus par-dessus, puis nous sommes allés chacun dans notre lit pour voler une sieste et un petit rêve. Mon père est resté pour garder le feu. Trois autres heures d’attente se sont écoulées et lorsque la soirée s’est approchée, ma mère a apporté son luth et ma sœur son tambour et ont commencé à jouer et à chanter et chaque fois qu’ils terminaient une chanson, mon oncle poussait des cris de joie pour le résiné et les raisins. Après cinq heures de cuisson du raisin, nous nous sommes tous calmés, ne laissant que mon père et ma mère près du Dist. C’est le moment de la décision, si l’un d’eux tarde, le résiné gèle ou coule. Dès qu’il l’ont enlevé du le feu, mon père a reproché à ma mère d’être en retard et elle lui a répondu que c’était lui qui s’était précipité.

Puis ma grand-mère est venue portant un petit plat et une cuillère, elle a versé un peu de raisiné chaud et l’a gouté avec son doigt, elle n’a prononcé aucun mot et n’a montré aucune expression. Ma mère était enthousiaste et lui a posé des questions sur l’état et les conditions du raisiné, ma grand-mère a souri et a dit: « Gloire à mon Créateur, c’est du miel doux et sucré ce raisiné, il n’y a pas mieux, Ô mon Seigneur, qu’ils Vous donnent le bien-être et la santé. Bonne année à tous. »

– Bonjour, qu’est-ce qu’il t’arrive, tu es debout dans la cuisine depuis cinq minutes sans bouger, maudissant ton assiette sans manger, dit ma colocataire française.

Je me suis réveillé avec mes souvenirs et sortant de mes pensées, j’ai trempé un morceau de pain dans le résiné, puis je l’ai mangé et j’ai répondu :

– C’est ce qu’on appelle le raisiné, il provient de notre terre, de nos raisins que nous avons pressés avec nos mains et nos pieds. Quand j’ai fini ma phrase, j’ai froncé les sourcils

– Pourquoi tu as froncé tes sourcils et pincé tes lèvres?

– C’est la dernière quantité qui reste de notre résiné : mon père et mes oncles ont vendu nos terres, leurs arbres ont été abattus et des murs de béton vides ont été érigés au-dessus.

– Ce n’est pas grave, lorsque l’épidémie sera terminée et les frontières rouvertes, vous importerez le résiné de l’étranger ! a-t-elle dit, puis elle a disparu derrière le mur.

Semaine 3

Une petite voix qui trotte dans ma tête

Qu’avez-vous fait depuis que vous avez ouvert les yeux avec le premier rayon de soleil qui a pénétré par votre fenêtre et annoncé qu’un nouveau jour éclairerait la moitié de la terre sur laquelle vous respirez ? Vous avez dénombré les morts dans le monde, puis pour la soixante-dixième fois vous avez lu les actualités sur les frontières et comme chaque fois que vous ignorez leur fermeture, vous espérez en vain qu’un miracle se produise et qu’elles s’ouvrent. Connaissez-vous, je vois que vous devenez stupide jour après jour.

Je me suis levé et j’ai marché comme un zombie vers la salle de bain, je me suis assis pendant deux minutes sans même penser si j’avais faim ce matin ou pas. Je me suis levé puis je me suis lavé les mains et le visage.

Depuis combien de temps avez-vous passé sans vous regarder ? Deux, trois semaines ou peut-être un mois. Si vous y réfléchissez bien, vous verrez que vous oubliez les détails de votre visage, la couleur de vos yeux et la forme de vos dents. Chaque jour, vous vous lavez ce visage, puis avant de le voir, vous le cachez en prenant n’importe quelle serviette. Si par mégarde vous le voyez en taillant votre barbe, Vous ne le regardez que rarement, votre esprit pense toujours à ce qui s’en vient, que dois-je faire après un bain, après le petit déjeuner et après avoir fait la vaisselle ?

J’ai sorti du réfrigérateur un bol d’aubergines épicées, que j’ai préparé hier comme une sorte de réponse à la nostalgie et au désir de revoir le passé, ma patrie dans mon exil. Lorsque j’ai refermé le réfrigérateur, j’ai souri à la vue d’un magnet portant un rameau d’olivier sur lequel était écrit « L’État de Palestine ».

Vous êtes drôle, piteusement drôle. Je vous vois vous accrocher à des symboles, des logos, des branches d’arbres et des vieux vers de poésie, mais vous n’êtes pas seul, vous et toute votre population. Vous, mon cher, vous êtes lié et enchaîné à l’espoir, vous êtes captif. Vous penssez que cet espoir vous était interdit, mais je constate le contraire. Vos grands parents, le jour où ils ont fui, ont porté la clé de l’espoir et ont parcouru le chemin des ténèbres, puis ils se sont assis sous leur tente et ont invoqué d’une voix calme l’aide de tout le monde, peut-être que les aideraient-ils, mais leur voix résonne encore aujourd’hui. Et chaque fois qu’une maison a été démolie ou qu’une route a été pavée sur vos oliviers, ou qu’un barrage est érigé à l’entrée de votre ville, vous avez compté sur Dieu et maudit vos ennemis, puis vous avez plié vos jambes et vous vous êtes assis, espérant, attendant.

J’ai fini de laver la vaisselle et je suis allé m’asseoir sur mon seul canapé, regardant par la fenêtre vers le ciel bleu, méditant sur les nuages ​​et une colombe atterrissant sur le toit du bâtiment adjacent, j’ai tourné mon regard vers ma plante que j’appelle « Shams » et je l’ai vue flétrie, assoiffée.

Vous n’osez pas poser la question, même de vous à moi, vous avez peur, Monsieur Poltron, et vous n’espérez que parce que vous avez peur. Mais je vais vous répondre sans que vous le ne demandiez : faites n’importe quoi ! Oui, tout ce qui vous vient à l’esprit, marchez avec les pieds nus dans la rue ou nu, dévoilez-vous de votre hijab ou priez cinq raka’as en signe de protestation, lisez un livre, parce que votre ignorance a rempli le vide, jouez de la musique si vous le souhaitez, chantez si vous le désirez, tenez-vous devant le checkpoint une demi-heure le matin et une autre Le soir, plantez un palmier, des raisins ou des olives délicates, ou balayez devant maison. Vous savez, mon cher accro de l’espoir, parlez, je suppose que vous avez été créé sans langue. Chaque fois qu’un petit autoritaire, qu’un cheik qui fait semblant d’être religieux, qu’un soldat armé, que la télévision ou q’uune publicité, vous donne un ordre, vous secouez la tête docilement sans vous questionner ou aller plus loin. Et maintenant, avant que vous ne montiez le son de la musique pour que ma voix disparaisse de votre esprit, je vous conseille de faire tout ce que vous voulez, mais, n’osez pas espérer.

Semaine 4

Le Pain

Je me suis réveillé une minute avant mon réveil, lassé de mon corps fatigué. Il est cinq heures et demie du matin, Il fait nuit noire, Je ne vois rien par la fenêtre ni même mes pieds. J’ai tout préparé avant de me coucher : mes vêtements, que j’ai mis sur la chaise, mes gants et mon écharpe, mes chaussures et mes chaussettes. J’ai mangé une petite banane en sortant mon vélo. Je n’ai que quinze minutes pour atteindre la boulangerie. Il fait très froid, le ciel est rempli de nuages ​​bas, je les sens me frôler. Il pleut des cordes. J’imagine déjà le boulanger me dire comme chaque matin « tu es en retard », alors que j’arrive tous les jours à l’heure. Je me dépêche pour arriver à temps, non par peur, mais par désir d’une matinée calme et paisible. Je sonne à la porte de la boulangerie et attends, en regardant tout autour et en levant les yeux vers le ciel. Je me demande pourquoi je fais tout cela.

– Bonjour.

– Tu es en retard. Je le dirai à la directrice, tu ne resteras pas longtemps avec ce travail. Fais-vite, l’hôtel et le restaurant attendent. Le pain est prêt dans les sacs.

Sa voix disparaît tandis qu’il descend au sous-sol. Je mets les sacs de pains sur le porte-bagage du vélo électrique de la boulangerie. Je vérifie à nouveau le couvercle du top-case, puis je commence à pédaler doucement. Et c’est parti. J’arrive au premier hôtel, sonne et dis avec un accent français «Le pain». J’adore ce moment et je m’imagine comme un héros d’un conte pour enfants. Je vérifie une deuxième fois que le couvercle du top-case est fermée. Allons-y. J’arrive au premier restaurant. L’employé chargé du ménage m’ouvre la porte, je le salue mais il ne répond pas. Je pose le pain à sa place et lui dis au revoir. Il ne répond pas. Je vérifie deux fois encore que le top-case du vélo est fermé et je continue.

Mes membres commencent à s’engourdir. La distance entre le premier et le deuxième restaurant est relativement longue. Je sens un vent froid se faufiler entre mes doigts et pénétrer mes gants. Mon nez gèle également, un étrange mucus se prépare à en sortir. Qu’est-ce qui m’a obligé à démissionner de mon travail dans mon pays et de choisir de terminer mes études sans bourse ni aide. Et où ? À Paris. Je mérite ce froid. Je me disais que j’allais être indépendant. Je me disais que j’allais trouver un emploi en parallèle de mes études. Je suis indépendant. Je ne cherche l’aide de personne. Je suis fort comme une femme. Je ne cherche pas l’aide de ma famille. C’est ma décision. Le froid se faufile davantage. Je le sens dans mon crâne, je souffle dans ma main droite, puis ma main gauche, puis je les porte à ma bouche pour me réchauffer aussi le nez. Je roule plus vite, encore plus vite.

Je salue les tunisiens, propriétaires de la poissonnerie à côté du restaurant. Je souris et serre leurs mains, essayant de leur voler un peu de chaleur. Après avoir livré le pain, ils m’ont inhabituellement invité à boire le café. Ils m’ont donné un morceau de pain au chocolat, nous avons parlé du Corona et ils m’ont qu’ils n’en ont pas peur. L’eau tunisienne leur a fourni une immunité que le Corona ne peut contester. Je leur ai remis la clé du restaurant, comme me l’a demandé la propriétaire de la boulangerie, inhabituellement aussi. Encore une fois, j’ai vérifié deux fois que la porte de restaurant était fermé, puis j’ai vérifié deux fois que j’avais fermé mon top-case, je les ai salués chaleureusement et je suis reparti…

J’ai pris la route qui passe par la rivière pour revenir à la boulangerie et j’ai regardé dans celle-ci le reflet des couleurs. Le ciel a commencé à se colorer avec du bleu clair, du rose et d’autres couleurs dont je ne connais pas le nom. Le soleil est caché derrière les bâtiments. J’ai respiré l’air de la ville avant qu’il ne soit rempli par les pots d’échappement avant de me laisser entrainer à nouveau par la musique dans mes écouteurs.

– « Comment était le travail aujourd’hui ? il faisait froid, désolée ! Nous avons reçu un message du gouvernement disant que les restaurants et les hôtels vont fermer leurs portes. Nous allons donc arrêter de leur livrer du pain. Je pense que nous devons mettre fin à ton contrat. Désolée. Je sais que vous devez travailler… Peut-être après la fin de l’épidémie, qu’en dites-vous ? »

J’avais le sourire aux lèvres tout le long du chemin retour, j’avais trouvé une raison de rester à la maison, de ne plus travailler, de dormir plus. J’ai oublié l’argent, les questions du loyer et de la nourriture. La sensation de confort était plus forte. J’ai senti mon esprit voler librement.

– Bonjour maman, mon contrat de travail a été arrêté. Tu peux dire à papa que j’ai besoin d’argent ? Seulement pour un mois, le temps que la crise passe et que je trouve autre chose. »

Semaine 5

Une presque liberté

Je me suis réveillé aujourd’hui, inhabituellement avec un désir de vivre différemment et avec une légère sensation de liberté qui me chatouillait le corps. J’ai mis de la “danse music” à plein volume tout en prenant une douche, j’ai chanté fort et dansé avec les gouttes d’eau. Je me suis parlé et ai plaisanté devant le miroir. J’ai préparé mon petit déjeuner à la hâte, Je n’ai pas de temps à perdre à la maison. Aujourd’hui, j’ai rendez-vous avec la vie, le soleil qui brille haut dans le ciel m’attend. J’ai sorti mes plus belles chemises d’été, je me suis parfumée pour la première fois depuis deux mois. J’ai nettoyé mes chaussures comme je ne l’avais pas fait depuis des années, aujourd’hui c’est l’Aïd et je suis un petit enfant heureux.

J’ai sorti mon téléphone et j’ai commencé à remplir le permis de sortie pendant un moment mais je me suis arrêté à la case de la raison de la sortie. Je sors pour aller travailler, pour chercher des besoins de base à côté de la maison ou pour faire de l’activité physique pendant une heure au maximum ? Non, aujourd’hui je sors sans raison, je sors et personne ne m’arrêtera, je ne sors que pour saluer les gens, les arbres et les trottoirs et je n’aurai pas peur des policiers qui surveillent mes pas et comptent mes inspirations.

Je me suis arrêté devant la porte de l’immeuble, j’ai fermé les yeux et j’ai pris une grande inspirations à m’en briser mes côtes, et quand je l’ai ouverte, un large sourire s’est dessiné sur mes lèvres et j’ai salué les passants, en souriant à chacun. J’ai regardé vers le trottoir d’en face et j’ai vu un voisin que je ne voyais que par la fenêtre, nous nous sommes regardés pendant quelques secondes, ce qui a semblé long. J’ai traversé la rue et nous avons parlé pendant un moment comme des vieux amis, puis nous avons chacun repris sa route.

J’ai marché me laissant guidé par mes pas au hasard et je me suis retrouvé près du parc public, oubliant qu’il était fermé. La rue qui y conduisait était étroite et calme, j’ai imaginé que j’aurais vue sur la ville entière, pour moi. Quand je me suis approché de plus près, des voix qui parlaient et riaient se sont faites entendre, comme si tous les gens du quartier étaient descendus de chez eux et se sont rassemblés devant la petite place du parc. Confus et tendu par le nombre de personnes, surtout que je n’ai pas vu autant de gens depuis longtemps, je me suis approché prudemment, essayant de maintenir une distance de sécurité entre eux et moi, je me suis approché de la barrière en fer et j’ai hésité à la toucher. Je sentais que tout le monde me regardait, et que je regardais tout le monde. Je n’étais pas très à l’aise.

J’ai essayé de m’échapper en regardant au loin mais le nombre de personnes présentes masquaient mon soleil, alors j’ai décidé de m’éloigner.

J’ai hésité entre prendre le métro ou emprunter un des vélos de la ville mais le métro me semblait un monde inconnu alors j’ai décidé de prendre un vélo. J’ai nettoyé mes mains au gel hydro alcoolique avant de monter et je suis sorti pour la première fois au-delà du kilomètre de mon quartier. Mes yeux pétillaient en voyant de nouveaux bâtiments, de nouvelles rues, et je n’étais pas dérangé ni par les véhicules ou les bus, ni par leurs klaxons. J’ai levé la tête haut vers le ciel, je l’ai vu immense, bleu, m’embrassant, et j’ai presque crié de joie. Ca m’a fait rire d’avoir oublié les rues et les trajets, comme si je voyageais dans une nouvelle ville où je n’avais jamais vécu auparavant.

J’ai garé le vélo à sa place et j’ai marché léger comme un oiseau vers mes amis, mon sourire était trop prononcé pour que je puisse le cacher. J’ai touché quelques-unes des portes des magasins toujours fermés dans un moment d’égarement, puis je m’en suis rendu compte et j’ai nettoyé mes mains avec le gel hydro alcoolique. J’ai vu mes amis de loin près de la rivière, je les ai salués de la main, ils se sont levés pour me saluer, je me suis approché d’eux, leurs sourires étaient grands, mon sourire était plus grand encore, je me suis approché jusqu’à ce que je sois devant eux, nous nous sommes regardés, comment nous saluer, deux mois après notre dernière rencontre, deux mois passés sans étreinte ni embrassade. Nous avons beaucoup hésité puis nous nous sommes embrassés sur les joues et nous sommes tombés dans les bras l’un de l’autre. Je sentais leurs corps me transpercer, alors j‘ai souris. Au fur et à mesure que le jour passait et qu’il fut huit heures j’ai levé les mains pour applaudir, mais j’ai réalisé que ma fenêtre était loin, ainsi que mes voisins. Sont-ils déçus ? me suis-je demandé. Je me suis appuyée contre le mur, fermant les yeux avec nostalgie.

Semaine 6

Une manifestation

Nous nous préparions à quitter les lieux quand ils nous ont encerclés de tous les côtés, nous nous sommes rapprochés les uns des autres et avons décidé de courir rapidement vers la seule sortie possible. Plusieurs policiers bloquaient une petite rue près de la sortie Nord et commençaient à s’aligner. Les gaz lacrymogènes survolaient le lieu. Je les ai regardé approcher, je me suis figé et n’ai plus bougé. Quand la lacrymo est tombée devant moi et que son gaz a commencé à se propager, je me suis penché vers le sol et ai saisi une pierre que j’ai failli jeter vers eux, mais je me suis souvenu que ce n’était pas un check point et que ce n’était pas la Palestine.

A cinq heures, nous nous sommes réunis au niveau de la sortie de la gare, près du tribunal. J’ai sorti mon masque et je me suis couvert la bouche. Nous étions tous masqués, beaucoup  avaient dessiné dessus ou écrit des slogans comme «Pas de justice, pas de paix». J’ai sorti mon kéfié blanc et noir et l’ai enroulé autour de mon cou.

Moi et mes amis avons avancés jusqu’à atteindre la porte du tribunal, nous étions dans les premiers rangs. Les gens autour de moi étaient nombreux. Je ne voyais aucune fin à la foule et aucune distance n’était respectée entre nous. Ce n’est que la deuxième semaine de déconfinement et le Corona semble lointain. Je le ressentais comme un rêve, alors que l’isolement a été remplacé ce jour-là par une manifestation. Cela a l’apparence d’un mensonge, des milliers d’âmes errant autour de moi.

« Justice pour Adama, justice pour Adama ! Pas de justice pas de paix ! Pas de justice pas de paix ! Justice, justice, justice ! Pas de justice pas de paix ! Justice pour Adama”

– Vous, les Palestiniens, vous  êtes habitués aux manifestations, peut-être que celle-ci te semble très pacifique et ennuyeuse, pas de soldats aujourd’hui pour nous jeter des pierres, a dit mon amie

– C’est drôle! j’ai répondu

– Qu’est-ce qui est drôle dans ce que j’ai dit?

– L’image héroïque que nous collons sur le front des palestiniens me dérange toujours. Nous ne sommes plus des révolutionnaires, nous ne sommes plus des enfants jetant des pierres ni des résistants. La plus grande manifestation à laquelle j’ai participé était pour changer le système de sécurité sociale et des retraites et la plus petite était contre l’occupant et je n’ai jamais participé à une manifestation contre le pouvoir. Ce qui est drôle, ce n’est pas ça, ce qui est drôle, c’est que je ressens, surtout loin de chez moi. Que je dois jouer le rôle du héros combattant révolutionnaire, alors que je ne le suis pas. Dire que vous ne savez rien et que j’ai beaucoup souffert dans ma vie, que je suis une âme brisée et que je ne crains plus rien parce que j’ai déjà vécu toute la douleur. Oui, mais la moitié de cela n’est pas vraie. Mon père me met en garde encore aujourd’hui lorsque j’ai une activité politique, il me met en garde quand je vais à une manifestation, ou même quand j’écris. Où est le héros palestinien ? Vraiment je ne sais pas. Comme je te l’ai dit, c’est drôle.

« Justice pour Adama, justice pour Adama ! Pas de justice pas de paix ! Pas de justice pas de paix ! Justice, justice, justice ! Pas de justice pas de paix ! Justice pour Adama”

– Penses-tu que le monde changera pour le mieux après le Corona ?

– Je ne sais pas, mais je suis optimiste. Tout ce qui se passe aujourd’hui est très excitant. Les politiciens vont déclarer toujours les guerres, suppriment et détruisent les libertés. Mais je suis optimiste, nous sommes tous réunis aujourd’hui avec des manifestations en Amérique et à travers le monde. Nos sentiments les uns envers les autres changent, je sens que quelque chose va bouger, partout dans le monde. Tu sais, pendant un certain temps, j’ai perdu espoir en l’importance de la solidarité, en particulier en ce qui concerne ma cause, mais ce qui se passe récemment est source d’optimisme. En réalité, je vois le monde entier d’un œil et je vois la Palestine d’un autre œil, je ne sais pas si le monde des Palestiniens changera pour le mieux.

Pas de justice pas de paix ! Pas de justice pas de paix ! ! Pas de justice pas de paix !! Pas de justice pas de paix ! Pas de justice pas de paix ! Tout le monde déteste les fascistes ! Tous les monde détestent les fascistes ! Pas de justice pas de paix.