Appel à participation • Le métro de Gaza

Dans les Déserts de l’Ouest, subsistent des Ruines très abîmées de la Carte.

Des Animaux et des Mendiants les habitent. Dans tout le Pays,

il n’y a plus d’autre trace des Disciplines Géographiques.

J.L. Borges Suarez Miranda, Viajes de Varones Prudentes

Mohamed Abusal est Gazaoui et aurait, à ce titre, bien des motifs de se plaindre : blocus israélien, pénuries, privations, enfermement, absence de perspective… la liste est interminable.

Ce n’est pourtant pas le ton de la plainte ou de la révolte que Mohamed Abusal a choisi, quand, en 2011, il réalisa une exposition à  l’Institut français de Jérusalem – antenne Gaza :

« Un métro à Gaza est une installation multi-supports qui apporte une solution visuelle éphémère tentant de transformer la situation chaotique des transports dans la Bande de Gaza, en imaginant un moyen de transport sophistiqué, métro ou tramway, d’une manière visuelle donc, à travers une œuvre artistique basée sur la photographie, le son, la vidéo et les réactions des spectateurs. Le concept du projet part du constat que les Gazaouis ont au moins une petite expérience à creuser des tunnels… mais qu’il leur faut aussi du rêve, et pourquoi pas avec une proposition artistique. » (description du projet par l’auteur).

M. Abusal venait de passer 6 mois à Paris, et a donc dessiné son métro en s’inspirant de celui de la capitale : 169 stations, 7 lignes de couleurs différentes qui irriguent tout le territoire, de Erez au nord à Rafah au sud, qui serpentent entre les camps de réfugiés, longent la mer, conduisent à l’aéroport – si un jour il est reconstruit.

  1. Ligne 1, verte, 27 stations avec un embranchement de 3 stations
  2. Ligne 2, vert clair, 32 stations
  3. Ligne 3, jaune, 24 stations avec 2 embranchements de 4 et 2 stations
  4. Ligne 4, rouge, 22 stations
  5. Ligne 5, bordeau, 16 stations
  6. Ligne 6, bleu, 13 stations
  7. Ligne 7, noir, 26 stations

En redessinant la carte de ce territoire de 10km sur 40km où survivent deux millions de Palestiniens, Mohamed Abusal savait que la carte n’est pas le territoire, qu’elle n’en est pas l’enregistrement graphique. Il savait que le territoire ne précède pas la carte, pas toujours, que la carte au contraire précède souvent le territoire, qu’elle l’imagine, le construit, le produit – comme le montre ad nauseam l’histoire de la Palestine.

Arrachant provisoirement la bande de Gaza à sa lamentable situation, Mohamed Abusal offre un espace neuf à notre regard, nous invite à voir dans ce territoire dévasté une terre vivable, vivante, où les habitants – affligés par la nécessité –  ne demandent qu’à vivre.

Mohamed Abusal aurait pu en rester là, s’arrêter à l’enceinte de sa prison et contempler son utopie. Mais pourquoi limiter ses rêves aux bornes assignées par les pouvoirs en place ?

Il a donc franchi la « bordure protectrice » et a dessiné le RER palestinien : la ligne A, de couleur rouge, comporte 6 stations et relie la bande Gaza à la Cisjordanie ; la ligne B, de couleur turquoise, dessert avec 8 stations la partie orientale du nord au sud du territoire occupé.

Étant donné un mur, que se passe-t-il derrière ?

Jean Tardieu Petits problèmes et travaux pratiques

LE MÉTRO DE GAZA

Projet 2019-2020

Nous avons découvert le Métro à Gaza de Mohamed Abusal en 2013, quand nous avons commencé nos travaux à Gaza avec  Institut français de Jérusalem-antenne de Gaza et les Universités Al Aqsa et Al Azhar (voir en annexe notre bilan d’activités 2013-2018).

Notre projet ne s’est pourtant cristallisé autour de l’œuvre de Mohamed Abusal que récemment. Et c’est en plein accord avec lui que nous avons décidé de reprendre son travail, de prolonger son exploration et d’inviter les Gazaouis à rêver leur(s) territoire(s) à partir de sa proposition.

En imaginant une nouvelle cartographie de la Palestine, Abusal montre une réalité de la Bande Gaza différente de celle qui nous est le plus souvent montrée et qui nous aveugle.  Au-delà ou en-deça des images de violences sur fond politico-religieux, des gens vivent là, travaillent, désirent, aiment, rêvent. Et au sein de cette population, il y a des artistes, qui déploient des fictions, construisent des projets, inventent un autre monde, et ouvrent les portes d’un avenir possible.

Ce sont ces voix, celles des Gazaouis, que nous voulons entendre et faire entendre. Car il ne s’agit pas de faire un spectacle sur Gaza, mais avec Gaza, non pas sur la Palestine mais avec elle. Nous voulons éviter d’entretenir avec ces territoires et ses habitants une position de surplomb. Être à l’écoute de nos interlocuteurs. Tendre l’oreille, ouvrir l’œil et travailler ensemble.

Notre  projet se déroulera en trois phases (ou stations) :

  1. Printemps 2019 : recueillir les paroles des Gazaouis par delà le mur
  2. Automne 2019 : mettre en perspective et en jeu ces récits à Ramallah
  3. Eté 2020 : élaborer un travail théâtral en Palestine et en Europe.

LE MÉTRO DE GAZA

PREMIÈRE STATION

Afin de prolonger le travail d’Abusal et d’accueillir les récits de Gaza, nous réunirons au printemps 2019 autant de rédacteurs que de stations de métro et de RER et confierons à chacun le soin de décrire-raconter-inventer une station de ce réseau imaginaire.

Chaque rédacteur se conformera à un cahier des charges dont voici les grandes lignes :

  1. Les plans du Métro et du RER seront remis à chaque rédacteur
  2. Une station sera attribuée à chacun
  3. Chaque rédacteur devra raconter-imaginer une histoire à partir de la station qui lui aura été confiée.
  4. Le texte ne devra pas excéder une page.
  5. Chaque rédacteur sera libre de choisir la forme qu’il préfère : récit, témoignage, dialogue, fiction, poème, chanson…
  6. Il pourra également avoir recours au dessin, à la photo ou à la vidéo.
  7. La langue utilisée devra être l’arabe (littéraire ou dialectal, au choix) ou le français.
  8. Chaque texte devra commencer par une des formules suivantes :
    1. en entrant à la station (suivi du nom de la station)
    2. en sortant de la station (suivi du nom de la station)
    3. en changeant de métro à la station (suivi du nom de la station)
  9. Les textes seront remis le 30 avril 2019.

Ils seront traduits en français et feront l’objet d’une publication.

Ils constitueront la base de travail pour la seconde étape de notre projet.

LE MÉTRO DE GAZA

DEUXIÈME STATION

Cette deuxième phase de travail se déroulera en automne 2019 à Ramallah où nous organiserons, pendant un mois, des ateliers d’écriture et de jeu qui réuniront des étudiants, des écrivains, des auteurs dramatiques, des comédiens, mais aussi des plasticiens et des musiciens, en provenance de Jérusalem-Est et des autres villes de la Cisjordanie – Naplouse, Jéricho, Jénine, Bethléem, Hébron.

Les participants travailleront pendant deux semaines à partir de l’œuvre de Mohamed Abusal et des documents recueillis à Gaza : ils dialogueront avec eux, imagineront Gaza et la Palestine, dessineront une nouvelle cartographie du territoire. Accompagnés par des auteurs et des metteurs en scène, ils recevront une initiation aux réalités de la création et aux techniques de jeu théâtral sur les scènes européennes.

Les propositions élaborées pendant les quinze premiers jours constitueront les matériaux d’expérimentations théâtrales qui dureront trois semaines.

Nous sensibiliserons les participants aux modalités de l’écriture dramatique, aux contraintes du passage au plateau, à l’épreuve de la mise en voix, en corps et en jeu par des comédiens. Nous vérifierons ensemble la pertinence théâtrale des hypothèses et des propositions.

Cinq textes seront choisis avec nos partenaires palestiniens et seront donnés en lecture, d’abord à Ramallah puis dans tous les lieux d’accueil de Palestine.

L’ensemble du travail fera l’objet d’un archivage régulier et constituera la mémoire du projet qui sera mis en ligne sur un site créé pour la circonstance.

LE MÉTRO DE GAZA

TROISIÈME STATION

À partir des travaux précédents, nous entamerons l’élaboration d’un spectacle qui réunira des comédiens et des artistes palestiniens et dont la première sera donnée à Ramallah en juin 2020, et qui sera ensuite présenté en version surtitrée lors du Festival d’Avignon 2020.

Il est évidemment trop tôt pour décrire une réalité théâtrale qui émergera des phases précédentes. Mais, sans préjuger de travaux qui comporteront nécessairement leurs lots de surprises et d’imprévus, nous pouvons avancer que notre spectacle résonnera des questions posées par le travail de Mohamed Abusal sur la carte et le territoire.

Comme le rappelle malicieusement Abusal, les Gazaouis ont une longue expérience des tunnels. Jean-Pierre Filiu, non moins malicieusement dans une note de bas de page de son Histoire de Gaza (Pluriel, Paris 2012), fait remonter cette expérience à 332 avant J.C. au cours du siège de Gaza par Alexandre de Macédoine.

Vieille histoire donc qui vaut aussi par le double sens du mot : un tunnel est en effet une galerie souterraine, généralement voutée qui permet le passage d’une voie de communication, mais c’est aussi une longue période de difficultés, de souffrances physiques dont on ne voit pas la fin.

C’est donc des histoires de tunnel que nous raconterons. Non pas pour reconstituer souterrainement l’unité compromise du territoire palestinien, mais pour en faire apparaître les liaisons, pour en révéler les connexions, pour en cultiver les héritages. Pour en observer aussi les fractures, les oppositions, les hostilités, afin d’en nourrir l’écriture et le plateau.

Il s’agira donc de creuser d’insolites galeries, pour que tous les Palestiniens –séparés physiquement par la fragmentation de leur territoire, par les murs, les barrières de sécurité, les checkpoints et les guerres – nous fassent entrevoir la sortie du tunnel. Un travail de sapeurs.

Ou bien, plutôt, découvrir ce que l’on n’a jamais vu, ce qu’on n’attendait pas, ce qu’on n’imaginait pas. Mais comment donner des exemples : ce n’est pas ce qui a été, au fil des temps, recensé dans l’éventail des surprises ou des merveilles de ce monde ; ce n’est ni le grandiose, ni l’impressionnant ; ce n’est même pas forcément l’étranger : ce serait plutôt, au contraire, le familier retrouvé, l’espace fraternel…

Georges Perec Espèces d’espaces

MOHAMED ABUSAL, artiste,

Il est né à Gaza en 1976. Dédié à l’art et travaille dans les domaines du graphisme. Il a étudié par l’artiste germano-arabe Maroun Katsab Bashi et a reçu une variété d’arts dans les domaines de la gravure, de l’impression et des arts conceptuels. Depuis 2000, Il a travaillé à un rythme impressionnant pour produire des œuvres audacieuses et novatrices qui ont suscité un vif intérêt et ont trouvé l’éloge de la critique. Les projets « Metro in Gaza » (2012) et « Chamber » (2013), deux concepts importants, comprenant des structures, des conceptions et des images, traitent de la réalité à Gaza assiégée et envisagent un avenir meilleur, non seulement un droit humain raisonnable mais fondamental. Son dernier projet, « soulagement de douleur », a été récompensé par le prix International Afaq Express pour la période 2016.

Il a participé à plusieurs festivals d’art internationaux. Il a organisé de nombreuses expositions personnelles à grande échelle entre 2000 et 2017 en Palestine, en France, en Amérique, à Dubaï, au Koweït, en Algérie et aux États-Unis. Il a reçu la bourse de résidence internationale en 2016 de la Fondation « Camargo » en France et a été nominé pour plusieurs bourses de résidence en France, en Suisse, en Amérique et en Jordanie. Son projet a été choisi comme fonds miracle pour participer au concours des jeunes artistes qui organisé par la Fondation Al Qattan à Ramallah. En 2005, il a reçu le prix Charles Asbury pour l’art contemporain. Il est membre fondateur du « Iltiquaà » d’un groupe d’artistes contemporains très actifs qui se sont rencontrés en 2002.

MOHAMED KACIMI, écrivain,

Après ses études de littérature française à l’École Normale Supérieure d’Alger, il quitte l’Algérie pour s’installer à Paris.

En 1987, il publie son premier roman, Le Mouchoir.

En 1995, il écrit son premier spectacle Le Vin, le Vent, la Vie, mis en espace par Ariane Mnouchkine dans le cadre du Festival d’Avignon.

En 1999, Mohamed Kacimi fonde avec Eric Durnez, Carole Fréchette, Robert Marignier, Yves Laplace, Jean-Yves Picq et Koffi Kwahulé, l’association « Écritures vagabondes » devenue depuis « Écritures du monde ». Il organise des chantiers d’écriture à Prague, Budapest, Rabat, Londres, Genève, Ramallah et Gaza.

En 2008, il publie chez Actes-Sud, L’Orient après l’amour.

En 2000, il effectue un long séjour à Jérusalem, Hébron et dans le Sinaï pour écrire La confession d’Abraham (Gallimard) créée au festival d’Avignon et sélectionnée pour l’ouverture du Théâtre du Rond-Point en 2002.

En 2005, il reçoit le prix de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques de la francophonie.

La même année, Adel Hakim, co-directeur du CDN du Val de Marne, fait à appel à lui pour l’accompagner comme dramaturge dans la création de sa pièce Des roses et du jasmin, créée à Jérusalem avant d’être accueillie en 2017 à la Manufacture des œillets à Ivry, à la Comédie de Genève et au TNS.

HERVE LOICHEMOL, metteur en scène

a fait ses études théâtrales à l’école du Théâtre National de Strasbourg.

Metteur en scène : Tchekhov, Pirandello, Calderon, Büchner, Corneille, Musset, Brecht, Molière, Kleist, Goldoni, Voltaire, Sade, Lessing, Diderot, Laplace, Guénoun, Müller, Beretti, Koltes, Mondzain, Lessing, Shakespeare, Py, Paravidino, …

Administrateur du Château de Voltaire et directeur artistique de l’Auberge de l’Europe à Ferney-Voltaire.

A enseigné au Théâtre National de Strasbourg, à l’ESAD (Genève), à l’Ecole de la Comédie de Saint-Étienne et a dirigé la Section Professionnelle d’Art Dramatique du Conservatoire de Lausanne.

Directeur de la Comédie de Genève de 2011 à 2018.

Depuis 2013, il développe un travail à Gaza avec Mohamed Kacimi.

Production Compagnie FOR

En partenariat avec :

Écritures du monde

L’Institut français de Jérusalem – antenne Gaza

La Fondation Qattan

Le Festival d’Avignon